La sécurité alimentaire est préoccupation familiale majeure depuis plusieurs générations. Au moment de la crise économique de 1929, mon arrière-grand-père Alfred Marcheterre est propriétaire du magasin général de Sayabec, dans la vallée de la Matapedia, ainsi que de quelques immeubles. Maire de la municipalité de 1906 à 1908, puis de 1923 à 1927, il connaît bien sa communauté. Il est conscient des difficultés économiques de ses locataires et concitoyens. Soucieux de leur épargner la gêne d’avouer à un adulte ne pas avoir les moyens de payer leur loyer, Alfred charge ses enfants de la collecte. Parmi eux, Colette Marcheterre, trois ans, haute comme autant de pommes, reste marquée pour toujours par ce moment.
Il ne collecte finalement que très peu de loyers et crédite des sacs de farine à sa communauté jusqu’à faire lui-même faillite. Il doit déménager sa famille de dix enfants dans une maison incendiée. Ne pouvant plus payer sa dîme à la paroisse de Saindon, le clergé en fait un paria, ce qui pousse Alfred et sa famille à partir s’établir ailleurs.
Colette, ma grand-mère, m’a souvent raconté cette histoire quand j’étais plus jeune. L'incertitude, la maison aux murs noircis, le déménagement où elle avait été mise en charge du chat de la famille. Épisode difficile s’il en est, mais dont elle parlait surtout pour souligner l’admiration qu’elle avait pour son père.
Pour sa générosité et son abnégation.
Elle m’a appris très tôt l’importance de faire des réserves, non seulement pour soi-même mais comme faisant partie intégrante de l'idée de responsabilité sociale. C'était une fourmi, mais d’un genre prêteur. Une fourmi avec de la compassion pour ceux qui n'auraient pas eu le privilège de remplir leurs bas de laine. Une fourmi prête à partager pour la joie d’entendre la cigale chanter.
C’était une Corne d’Abondance.
La spécialiste des En-tous-cas.
C'est pour lui rendre hommage que nous avons nommé notre ferme Marcheterre, espérant lui faire honneur en nourrissant nos proches et notre communauté.
